Les mots de Lola …

Les mots de Lola …

Un mot de l’équipe de la MAEC : je viens de finir la lecture d’un texte de Lola, volontaire responsable du groupe transgenre de la MAEC, je voudrais vous le recommander ! Il est touchant, intelligent et nous donne envie de nous unir autour d’elle, de vous, de tous ceux qui vivent un chemin d’affirmation, de recherche d’eux-mêmes et qui par cette quête font progresser notre société. Merci Lola !

Bonne lecture à tous et surtout répondez, exprimez-vous, partagez vos réflexions !


À tous ceux qui se demandent « pourquoi » !

Pourquoi être en désaccord avec son genre biologique ?

Pourquoi ne pas s’accepter telle que la nature l’a décidé ?

Pourquoi changer d’état civil ?

Pour quoi faire une transition?

Pourquoi… ?

Avez-vous déjà tenté d’arrêter de respirer ? Dans le meilleur des cas, vous résistez environ deux minutes. Ensuite, il faut lâcher prise et respirer à nouveau sinon vous courez tout droit à la perte de connaissance. Et bien, pour une personne transgenre, ne pas faire sa transition c’est tenter de vivre sans respirer. On y parvient quelques temps, souvent plus longtemps que deux minutes mais on finit tout de même par en crever. Nous devons la faire tout simplement parce que c’est vital !!!! À un certain moment, on ne peut plus vivre en étant quelqu’un d’autre ! C’est très dur d’être un parfait comédien et puis ce n’est absolument pas gai de mentir à tous nos proches et de nous mentir à nous même également. Alors, il ne nous reste que ce choix : entamer une transition vers le genre qui est le nôtre depuis toujours ou mourir !!!! Moi, j’ai choisi de vivre ma vie, ma vraie vie à plein poumons et j’en suis infiniment heureuse !

On peut se poser beaucoup de questions. Après tout, à quoi bon ? À quoi bon effectuer un travail sur soi, tâcher de s’accepter, remettre en cause tout ce que l’on a appris ? À quoi bon briser les interdits  et les tabous, surprendre son entourage, si c’est pour risquer de le perdre ? Pourquoi mettre en danger ses relations sociales, son cercle familial ? Pourquoi renoncer à la sécurité dans la rue, à la sérénité dans la rencontre de nouvelles personnes ? Pourquoi devenir un objet de débats dont la liberté est mise en cause par ceux et celles qui s’arrogent le droit d’avoir leur mot à dire sur nos vies ? Alors, je leur pose ces questions : Qui vous a attribué ce droit ? Qu’ai-je à devoir justifier pour bénéficier du droit au bonheur comme tout être humain ? Qui êtes-vous pour vouloir me dicter ma vie ? Je ne suis pas votre esclave.

Car c’est de cela qu’il s’agit. En sortant « du placard » (expression à l’origine du « coming-out »), en acceptant sa transidentité et en commençant une transition (sociale, hormonale, administrative, physique, culturelle…), on sort de la citoyenneté au sens où elle est entendue de manière habituelle, et on devient un sujet de politique qui n’a plus réellement le droit d’être sans que cela soit porté en débat et remis en cause par beaucoup de personnes. On sort de la norme en modifiant son corps, qui ne correspond plus ainsi aux standards de notre genre biologique, ou même simplement en acquérant une forme de socialisation à laquelle on n’est pas censé avoir accès. Du point de vue de la plupart des croyances officielles et surtout des dogmes, on devient une abomination : c’est le niveau supérieur de l’hérésie, nous devenons des armes nucléaires comme l’a dit le pape François ! Nous accédons au statut de mauvaises personnes, et nos corps sortent de ce qui est acceptable et de ce qui devrait le rester. Plus généralement (mais pas sans influence des religions et de leur rayonnement culturel), on est ni plus ni moins des monstres au regard des gens.

Le cliché de la personne transgenre, c’est celui de la prostituée brésilienne du bois de Boulogne, de la personne travestie qui n’est pas crédible un seul instant et qui apparaît encore une fois comme monstrueuse aux yeux du peuple. C’est un épouvantail que l’on brandit en mise en garde pour les personnes qui seraient tentées de s’éloigner des normes du genre qui leur a été attribué par la nature. Et ça fonctionne vraiment très bien : pendant des années durant, nombre d’entre nous demeurent bien sagement dans le rang, souffrant en silence afin de ne point s’aliéner, afin de ne pas commettre d’interdit social, d’éviter de s’exclure de facto de la société en intégrant une minorité tournée en ridicule par la culture populaire. Les personnes transgenre, dans la grande majorité, ne révèlent jamais leur transidentité, et finissent par mourir (soit parce qu’on les assassine, soit parce qu’elles se suicident ou tout simplement parce qu’elles meurent de tristesse et de découragement) sans jamais admettre leur différence.

Il est donc très légitime de s’interroger. Est-ce que ça vaut le coup, vraiment, de ne plus faire partie de la norme sociale, de s’éloigner des stéréotypes pour enfin assumer son identité et la façon dont on souhaite s’exprimer ? Est-ce que ça vaut le coup, de modifier son corps de façon irréversible afin de donner à autrui une image plus proche de ce qui est attendu lorsque l’on souhaite un tel retour ? Dans mon cas, est-ce qu’il fallait vraiment que je féminise mon corps avec des hormones afin de pouvoir être une femme aux yeux des autres alors que j’aurais pu me contenter de savoir qui je suis sans en parler, et en niant le regard d’autrui ?

Comme souvent, chaque personne saura trouver ses propres réponses car chaque transition est différente.

Pour ma part, j’ai fini par réaliser que ce rôle masculin (dénué de virilité) que la nature m’avait imposé et que docilement je respectais afin de maintenir les convenances sociales me rendait, en fin de compte, vraiment très malheureuse. En réalité, il m’était impossible de continuer dans cette voie, niant perpétuellement qui j’étais. Finalement, me mentir avait pour effet de me rendre éternellement insatisfaite et malheureuse, alors que j’avais matériellement et socialement tout ce qu’il semblait que je doive avoir pour connaître le bonheur. Un travail bien payé, des amis, une famille aimante et m’ayant toujours soutenue dans mes choix et la peur de perdre tout cela contribuait néanmoins à me retenir de faire le pas. J’ai fini par réaliser que quel que soit mon déguisement au quotidien, quel que soit le rôle que je jouais, j’étais déjà différente. Mon décalage par rapport aux autres ne cessait finalement de se confirmer. Ma frustration était vaine : je me niais, je m’empêchais d’être ce que j’étais réellement, mais en le faisant je ne m’excluais pas moins car ma différence, je la portais en moi, et je ne parvenais plus suffisamment bien à jouer la comédie pour rentrer dans le rang.

J’ai compris que je n’avais aucune tare psychologique, que mon identité de genre n’était pas une passade ou un fantasme et que je n’avais pas à avoir honte pour quelque raison que ce soit. Ce fut difficile et cela m’a pris bien des années. C’est en réfléchissant au passé, en faisant des rétrospectives, que je me suis rendue compte qu’en effet, je n’ai jamais été un garçon, que toujours, j’ai eu cela en moi et que tous mes souvenirs incluent cet état d’une manière ou d’une autre. Cela m’a aidée à l’admettre et à comprendre que ce sentiment n’avait rien d’une phase, d’une lubie. Le besoin d’être enfin considérée telle que je suis est devenu de plus en plus irrépressible. Au fur et à mesure que je m’acceptais, que je constatais qu’autour de moi une autre vie était possible, que d’autres avaient franchi le pas, que je n’étais pas obligée de me cacher toute ma vie, je me suis décidée à franchir le pas également. J’ai bien sûr ressenti la peur de m’y prendre trop tard, d’attendre trop longtemps et de constater finalement que la testostérone avait fait sur moi bien trop de dégâts. Les moments où je pouvais être moi-même en présence d’autres personnes, sans ressentir le moindre jugement de leur part, devenaient des bulles de bien-être, m’ôtant un poids que j’ai porté tout au long de ma vie sans même m’en rendre compte. C’est comme un bruit persistant auquel on finit par s’habituer au fil des ans, et qui cesse brusquement. On remarque soudainement qu’il était là, et même qu’il nous dérangeait vraiment, mais que le temps a fini par nous y habituer jusqu’à nous empêcher d’y penser. Le dérangement, dans mon cas, allait jusqu’à m’en rendre malheureuse, car j’étais réduite au silence, je me cachais, je n’exprimais pas réellement ce que j’étais. Mon miroir me renvoyait une image que je ne considérais simplement pas comme la mienne, qui ne m’apportait aucune satisfaction ni reconnaissance. Je n’existais pas !

J’ai passé plusieurs mois à fréquenter une association, à m’y présenter sous mon prénom et genre revendiqués, habillée telle que je le souhaitais, maquillée, coiffée ; mais sans pour autant avoir débuté un traitement hormonal d’aucune sorte. Au début, je me sentais en insécurité. Puis, au fil des semaines, j’ai fini par me rendre compte que la plupart des personnes rencontrées en rue ne prêtaient aucune attention à ma personne. J’en ai conclu que je ne dénotais pas trop dans la société et que j’étais donc bien à ma place. Au bout d’un temps, mon sentiment d’insécurité s’est atténué. Mais je souffrais toujours d’un manque de liberté, cette liberté d’être moi, de ne plus être considérée comme un homme travesti, de pouvoir me regarder et m’apprécier dans le miroir, de cesser de culpabiliser et de me déprécier. Parfois, je me disais, « c’est encore une idée que je me fais ». « Je m’ennuie, de toute évidence, cela m’aide à combattre l’ennui que d’expérimenter mon genre, et du coup je vais mieux, c’est tout. » Drôle de définition de l’ennui alors que j’avais déjà un nombre incalculable de projets en tête et un nombre encore plus grand d’écrits en tête qui attendent et que je n’ai pas encore touchés (alors que c’est une de mes passions), drôle de façon de s’ennuyer alors qu’on a déjà une montagne de choses à faire. Mais non, je « m’ennuyais ». Et alors que j’essayais de mettre le sujet de ma transidentité de côté, de me consacrer à mes projets, je constatais que mon moral descendait en chute libre. La nuit venue, systématiquement, j’étais en larmes et chaque matin au réveil, la première idée qui me venait à l’esprit était celle de me supprimer.

La transition sociale s’est imposée pour toutes ces raisons. Il me fallait sortir de cette zone afin de réellement trouver la sérénité. Et désormais… la sérénité, je l’ai plutôt trouvée. Tout n’est pas parfait, mais c’est en bonne voie.

Bien sûr, au début, il y a eu des points négatifs. Se présenter partout, vêtue comme une femme, coiffée comme une femme avec une carte d’identité qui atteste que vous n’êtes pas qui vous prétendez être, à toute occasion, devoir faire un coming-out forcé pour expliquer à mes interlocuteurs le pourquoi et le comment de la situation dans laquelle je me trouve sont des situations très désagréables et discriminantes. Après tous ces mois de ce traitement hormonal qui a permis que je ne sois plus « détectable » en tant que personne trans mais bien en tant que femme à part entière, je me suis dit qu’il était grand temps que ce cirque s’arrête. Et une fois de plus, j’ai dû constater que rien n’était fait pour me permettre de vivre mieux. Avoir une carte d’identité avec le prénom féminin que j’ai choisi m’a pris presque deux ans. J’ai eu l’obligation de consulter des psychiatres alors que je n’en avais ni un réel besoin ni l’envie. Ils m’ont fait perdre un temps fou et beaucoup d’argent à cause des structures autoproclamées officielles. Ce fût une période noire !

Mais il y a aussi des points positifs. Je vis désormais mon identité au grand jour, je n’ai plus l’impression de me cacher. Tout mon entourage est désormais au courant et me désigne au féminin; j’ai été totalement acceptée: ans ma famille, une seule personne n’accepte pas ma transition. J’ai aussi eu la chance de rencontrer de nouvelles personnes dont plusieurs sont devenues des ami(e)s fidèles et qui me considèrent tout simplement comme Lola. Ils m’aiment et me soutiennent. Il y a aussi de nombreuses personnes, qui m’ayant connu en tant qu’homme, trouvent qu’actuellement me considérer comme un homme est totalement farfelu. Les commerçants du quartier en sont un exemple. En ce qui concerne mon orientation sexuelle, elle n’a pas changé. En tant qu’homme, j’étais attirée par les femmes et en tant que je femme, je le suis toujours. Je peux donc dire que je suis hétérolesbienne. Mais après réflexion, les étiquettes en termes de sexualité n’ont plus vraiment beaucoup de sens quand j’essaie de me les appliquer. Je n’ai pas de mal à imaginer que d’autres s’identifient à ces libellés, mais quand il s’agit de moi, ils perdent leur sens. Je peux donc dire avec certitude que je suis asexuelle. J’ai cessé de voir les personnes en termes de genre sexué et j’ai oublié la question génitale, que je trouve superflue et clairement séparée de la réalité des individus. Je suis détendue, heureuse, bien que ma vie soit beaucoup plus dangereuse qu’avant. Il suffirait qu’un jour je rencontre quelques individus transphobes pour que ma vie s’arrête là comme celle des 246 personnes transgenres qui ont été tuées en 2014. Je tâche de ne pas penser au négatif. Je m’occupe de moi, je prends soin de moi, je pense à ma famille et à mes ami(e)s, je tâche de prendre appui sur mon propre bonheur pour pouvoir aider les autres, qui sont dans mon cas, en m’impliquant dans le monde associatif. Je veux m’épanouir, être reconnue enfin pour ce que je suis ; on m’appelle madame sans me regarder de travers et sans hésiter. Je veux m’exprimer, être naturelle. Je fais plus attention à ma santé. Je vis en meilleure harmonie avec mon corps et je porte une plus grande attention à ce que je ressens, à mes besoins. J’ai plutôt intérêt à être ainsi car mon lourd passé médical n’était au départ guère compatible avec la prise d’hormones féminisantes.

Je ne regrette rien, bien au contraire. Parfois, il m’arrive de me dire que j’ai perdu bien du temps par le passé… mais peut-être aussi n’étais-je simplement pas prête. Peut-être cela avait-il besoin de temps pour s’affirmer face à la société dans laquelle nous vivons. Dans un autre monde, j’aurais pu être moi-même depuis toute petite, mais on vit dans celui-ci, on doit s’y adapter. Et puis, je l’ai déjà dit, j’ai de la chance. Une chance énorme. Je suis blanche, de milieu assez aisé, j’ai de l’éducation, des diplômes. Je présente bien, ma transition se passe bien, je suis rapidement sortie de l’ambiguïté, je ne perturbe pas trop les gens dans leurs conceptions des choses à cause de mon apparence. Cela m’aide beaucoup à bien vivre au quotidien. J’en connais des tas, des personnes comme moi, qui n’ont pas eu la même chance : des personnes qui sont méprisées par leur entourage, par leurs propres parents parfois et qui sont obligées de s’en éloigner ; des personnes qui sont menacées de mort par celles qui leur ont donné la vie ; des personnes qui ont été contraintes à la prostitution et qui vivent actuellement dans la précarité ; des personnes qui sont tous les jours remises en cause dans leur identité en public car désignées de manière inconfortable pour elles, sans égard pour leur identité ou leur apparence ; des personnes dont l’identité est niée par leurs proches, qui négocient et tentent de les convaincre que ce n’est qu’une lubie, qu’une phase, qu’elle se trompe. J’en connais des tas. J’ai de la chance.

Mon témoignage est positif. Il montre que c’est possible. Il montre que oui, une personne transgenre peut connaître le bonheur. N’en déplaise, nous le pouvons, et cela ne dépend pas que de nous. Cela dépend des proches et de leur soutien, de la famille et des amis, du cadre social dans son ensemble. Cela dépend aussi de vous, qui me lisez. Si vous connaissez une personne transgenre dans votre entourage, ou quand vous en croiserez une dans la rue… C’est votre responsabilité qui entre en jeu, celle de lui permettre ou pas de continuer à être heureuse.


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