J’ai mal à ma dignité humaine!

J’ai mal à ma dignité humaine!

Où est ma dignité de femme ?

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Lorsque j’étais à peine âgée de cinq ans, un jour, j’ai eu l’audace de confier à ma maman que je n’étais pas un garçon mais que j’étais bien une fille.

La seule réponse que j’ai obtenue a été : « Ne dis jamais cela à quelqu’un d’autre, car on t’enfermera chez les fous ! »

Alors, en petite fille bien sage, je ne l’ai jamais plus dit. J’ai gardé ce sentiment d’être une fille au plus profond de moi. Je l’ai refoulé chaque fois qu’il tentait de ressurgir. J’ai pris l’habitude de « singer » les garçons pour ne pas dénoter et ne pas être envoyée chez les fous.

Pendant toute mon enfance et mon adolescence, je n’ai jamais rencontré une personne digne de confiance à qui j’aurais pu confier mon mal-être et qui m’aurait comprise sans me juger. J’ai donc joué la comédie en mentant à tout le monde et en me mentant également. Bref, j’avais une vie infecte, je n’existais pas et apparemment tout le monde s’en fichait éperdument.

La première personne à qui j’ai pu me confier a été un médecin généraliste qui était le médecin agréé de la brigade de Gendarmerie où j’étais attachée. Passant un jour à la brigade, il est venu me trouver et m’a dit ceci : « Chaque fois que je passe au bureau, je te vois toujours aussi triste. Je sens bien que quelque chose ne va pas pour toi. Alors, je t’en prie, ne le garde pas pour toi, confie toi ! » Ma réponse lui a fait comprendre que je ne faisais confiance à personne et alors il a insisté : « Tu sais que je suis tenu au secret professionnel. Je t’assure que tu peux venir me voir en consultation en mon cabinet et tout ce que tu me diras à ce moment restera à cet endroit. »

Après une longue période d’hésitation, je me suis finalement décidée à aller le voir. Il m’a fallu un courage immense pour lui dire qu’il y avait vingt-sept ans que je jouais « à être un garçon » mais qu’en réalité, j’étais une fille. Je n’oublierai jamais sa réponse : « Tu sais, je n’y connais rien dans ce domaine ! Je ne sais que te dire que je te plains de souffrir autant depuis tant d’années. Ma porte t’es ouverte, nuit et jour, je serai toujours là pour t’écouter et te soutenir. Mais dis-toi bien ceci : tôt ou tard, tu devras t’assumer car en vieillissant, cette souffrance sera de plus en plus insupportable. Un jour, tu devras faire ce choix libérateur de t’assumer ou de disparaître. »

Qu’est-ce qu’il avait raison ce brave homme ! Effectivement, ce jour-là est arrivé dans le courant de l’année 2003. À l’époque, chaque matin au réveil, la première idée qui me venait à l’esprit était : » aujourd’hui, je me flingue ! » Et je ne sais pour quelle raison, je ne suis jamais passée à l’acte. Finalement, j’en ai eu marre d’avoir cette idée macabre chaque matin au réveil et j’ai fait le choix de m’assumer ! Je savais bien peu à quoi je m’exposais en prenant cette décision.

La première personne qui a été odieuse à mon égard est mon épouse. J’étais malheureuse avant et voilà que maintenant je le suis encore plus car la personne que j’aime le plus au monde tient des propos plus que blessant à mon égard. J’ai donc dû faire face à ce problème supplémentaire. Tout le monde sait qu’il ne faut pas se laisser pourrir la vie par ceux qui n’apprécient pas de nous voir heureux et de nous respecter tels que nous sommes. J’ai donc décidé de percer l’abcès et lors d’une énième parole blessante, j’ai explosé. Je ne vais pas relater ici tout ce que j’ai pu dire sur le moment. En tout cas, j’ai été tellement claire qu’elle ne m’a jamais plus importunée mais la douleur est restée.

En fait, ce n’était que le début du calvaire. Chaque démarche que j’entamais pour tenter d’avancer vers cette délivrance à laquelle j’aspirais depuis tant d’années m’amenait son lot de vexations, de paroles blessantes et de discriminations. Et cette fois, je devais cette situation au législateur d’un pays qui se prétend à la pointe du respect des droits humains : la Belgique. Cette personne bien pensante avait pris la peine de rédiger une loi, qui devait être suffisamment humiliante, pour que le moins de personne possible ne fassent les démarches d’une transition.

J’ai commencé ma quête vers mon bien-être par la consultation d’un endocrinologue qui m’a dit très gentiment qu’il n’était pas qualifié pour régler mon problème ! Il m’aurait dit qu’il n’avait pas envie de s’occuper de moi ou que sa philosophie de vie l’en empêchait que je l’aurais mieux accepté. Sa réponse m’a laissé comprendre qu’il préférait ne pas entendre parler des personnes transgenres. Il a cependant été assez aimable pour me diriger vers une consœur qui elle m’a très bien reçue et qui très aimablement m’a dit : « je ne peux rien pour vous tant que vous n’aurez pas reçu l’autorisation d’un psy pour recevoir un traitement hormonal ! »

Donc ma mère avait bien raison : « la société me considère comme une folle », ou un fou peu importe. Je n’étais pas au bout de mes surprises douloureuses !

Je suis donc allée rencontrer un psychologue. Pas n’importe lequel ! Celui qui m’avait été désigné par l’endocrinologue. Il était sensé être très au fait de cette problématique ! Et bien ! Comme sapeur de moral, on ne fait pas mieux ! Je me rappelle quelques-unes de ses paroles lors de mes visites : « Mais vous ne serez jamais une femme ! On ne change pas de sexe ! Cela n’existe pas ! Le vagin que le chirurgien vous fera ne sera jamais qu’un « cul-de-sac » ! » Alors, il faudra qu’on m’explique pourquoi ces gens nous appellent des « transsexuelles » et qu’ils se cramponnent à cette terminologie humiliante et discriminante ! Sans vous parler du chirurgien, pour qui nous ne sommes qu’une très bonne source de revenus !

Tout cela sans vous parler des commentaires malveillants et imbéciles des gens qui se disent tolérants et surtout très cathos dans notre Ardenne profonde !

Je vais arrêter de me plaindre. Si je suis amenée à écrire ces lignes aujourd’hui, c’est parce que sur un réseau social, j’ai vu la vidéo d’une jeune fille trans que je connais très bien. Dans ce message visuel, elle supplie son entourage de l’accepter telle qu’elle est, elle explique que les attitudes et les paroles de beaucoup de personnes qui la côtoient la font souffrir. Elle va même jusqu’à leur dire : « vous me faites souffrir mais je vous pardonne ! » Elle s’excuse d’être une fille avec un corps inadapté à son genre et de ne pas être une personne comme les autres. Finalement, c’est une prière qu’elle adresse à la société afin qu’on la respecte et qu’on l’aime pour ce qu’elle est : un être humain. Et cela m’a fait encore plus mal car je sais que ce qu’elle demande, elle ne le recevra jamais !

Ma belle, il faut que tu te fasses à l’idée que les personnes transgenres sont les parias de la société bien pensante dans laquelle elles doivent subsister. Elles ont le tort d’exister ! La Nature leur a joué un sale tour et elles ne doivent pas importuner ceux qui ont la chance d’avoir reçu un corps en adéquation avec leur genre ! Ce sont eux qui sont la norme !

Ainsi que ma mère me l’avait dit quand j’avais cinq ans : nous sommes des folles, des anormaux et comme tous les anormaux nous n’avons que deux choses à faire : la fermer et encaisser les discriminations !

Vraiment, aujourd’hui, je me demande où est la dignité de la femme que je suis !

Lola

Responsable du groupe transidentitaire de la MAEC-Lux

En mémoire de toutes les personnes transgenres qui ont choisi de disparaître dans la totale indifférence de la société parfaitement normée !


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